samedi 13 février 2010

Vendredi 12, 11h TU. Caracas









Départ de nuit, appel à l’attention dans les haut-parleurs «All crew in station". La carcasse d’acier s’ébroue, vibration des moteurs, calme puis agitation de l’équipage... Le quai s’éloigne dans les remous, deuxième manœuvre, premier virage.
Départ de nuit, bruissement d’eau sous le livet, pour glisser sous la céleste voûte, cotonneuse comme du duvet, dernière marque du chenal avant la route. Au loin, les fanaux des pêcheurs, inlassables laboureurs de la mer, que l’on nomme aussi les seigneurs, à la côte, se confondent avec les feux et les amers.
Dans quelques heures, Caracas... Je me laisse bercer et m’endors. 2h du matin, le téléphone sonne dans ma cabine. C’est le commandant qui me conseille d’assister à l'étrange arrivée de nuit à Caracas. Je rejoins la passerelle. Le port et l’aéroport de la Guara forment une bande le long de la côte où prennent naissance des faubourgs particulièrement illuminés... vus de la mer.
Au-dessus de ces guirlandes à ras de l’eau, une grande masse noire bouche l’horizon. Plus haut, un falot d’une puissance
supérieure arrose la couche nuageuse accrochée à la montagne… Saisissant !

Au delà de cette bande, c’est Caracas et "derrière" Caracas, le Vénézuela et un président que tout le monde s’accorde à dire fantasque, voire fou... Hugo Chavez est-il un nouveau despote ou un véritable homme du peuple acculé par ses détracteurs, et la situation économique de son pays, à lâcher les commandes d’un appareil qu’il ne contrôle plus.

Le nouveau régime vénézuélien va fêter ses 12 années d'existence, pourtant fragilisé en 2003 par une grève de la compagnie nationale de pétrole et du patronat. Le président a failli être renversé par un coup d’Etat. Chavez avait illustré sa volonté radicale de changement en légiférant sur les hydrocarbures - le pétrole est une ressource importante du pays - afin de mettre la rente pétrolière au service des dépenses sociales. Il avait également lancé une réforme agraire. Bouveleversements qui n’étaient pas pour plaire aux tenants traditionnels de l’économie.

Grâce au soutien des masses, rameutées par les radios communautaires qui ont exigé le retour du président, les putschistes ont reculé. Je me souviens des images de ces événements, de la foule aux portes du palais présidentiel.

De cette période, est sorti un nouveau pacte social. Chavez a créé des "missions" au plus près de la population avec, entre autres, un programme d’assistance sanitaire qui fera d’ailleurs appel à plusieurs milliers de médecins venus de Cuba. Mission médicale donc; assistance aux mères de famille en détresse; distribution alimentaire à des prix bas pour les plus démunis; réponses spécifiques aux populations indigènes, etc. La liste n'est pas exhaustive.
Résultat : de 44% en 1998, soit presque la moitié de la population, le taux de pauvreté chute à 28% en 2008, selon les chiffres du Centre pour la paix de L’Instituto de Estudios Hispanoamericanos (UCV). Le taux de scolarisation dans les collèges passe 21,2% en 1998 à 33,3% en 2006.
A l’image des comités de défense de la révolution cubaine, l’organisation des masses va prendre une tournure plus radicale avec la création des conseils communaux. Le principe repose sur la conviction que, pour chaque région, ces regroupements de familles connaissent, mieux qu’un lointain bureaucrate, leurs besoins spécifiques.
Plébiscités par 63% de la population, ces conseils communaux interrogent néanmoins par leur fonctionnement. Il semble que le montant des fonds versés par l’Etat dépende, pour chaque communauté, de son seuil de connivence avec le président Chavez. Cela entraîne une personnalisation du pouvoir et l'apparition d’une nouvelle caste : les «Boli-bourgeois». Ces derniers s’affichent comme des fidèles, sans jeu de mots, et consacrent leur énergie à faire fortune en profitant de l’instabilité économique.

Paradoxalement, le secteur nationalisé par Chavez se révèle incapable de se substituer au secteur privé face à une demande de consommation croissante, stimulée par l’injection de liquidités importantes dans le revenu des classes populaires. Le président va s’attirer les foudres de cette frange de la population qui constituait pourtant la base de son électorat mais qui ne peut pas faire face à une inflation de plus de 40%.

Ainsi, malgré son adhésion majoritaire aux conseils communaux, la classe populaire déçue par l’inflation, les pénuries et la délinquance n’hésite plus à montrer son mécontentement. Et cela même si Chavez reste une star. Economie déstabilisée, opposition silencieuse mais présente, alliés corrompus, pression internationale... La marge de manœuvre de plus en plus réduite du leader de la révolution bolivarienne ne va t-elle pas l'entraîner vers un durcissement du régime à la Cubaine ? Que va devenir le Vénézuela ?

Demain, les boîtes prennent la route de Panama.

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