vendredi 19 février 2010

13h TU. Baie de Fort de France




Homme libre, toujours tu chériras la mer... Aujourd’hui, je débarque. Je quitte définitivement le bateau de commerce "Marfret Marajo" après un mois d'une résidence artistique hors du commun. J’étais venu chercher une matière un peu particulière à bord ce porte-boîtes de 170 mètres de long hors tout (170,06 mètres pour être précis) autour de l'objet conteneur, de sa symbolique et, plus généralement, de la question du lien.

Les conteneurs tissent des liens entre les continents. Le conteneur est symbole du marché, symbole d’un travail oublié, jamais pourtant interrompu, qu'est celui du transport maritime. Des liens qui subsistent, des liens qui se créent. Des liens se nouent aussi entre la compagnie, ses bateaux et les agences maritimes; entre les marins et leur famille ou leurs proches.
La question des liens commerciaux, représentés par les conteneurs, est assez impalpable à bord. Elle devient nettement plus traçable au travers des transactions, des manutentions souvent rapides mais toujours tangibles, grâce à la réalité matérielle des boîtes quels que soient leur format et leur couleur.

Entre le navire et la compagnie, le lien est visible via la coordination entre les équipes à terre (les agences) et la mer. Les agences peuvent demander au bateau d’être présent à telle heure, ici ou là, d'occuper tel quai pour y décharger telle chose et embarquer telle autre. Les échanges traitent aussi parfois de simples constats de dégâts (damages reports) occasionnés, par des manutentions malhabiles, sur la cargaison elle-même ou sur le navire !

Les liens entre les marins et leur famille ou leurs proches ont été les plus difficiles à appréhender. Je fais même, dans ce domaine, le constat d’un demi-échec. Sauf à noter qu’Internet et les systèmes de messagerie avec caméra (tchat) sont très utilisés au cours des escales. Mais je n’ai pas pu pénétrer la sphère privée de mes hôtes. Ont-ils dans leur cabine des objets ou rituels symboliques d'un lien, compensateurs de l'absence : photos de famille, objets fétiches, sacralisés ? Je l'ignore.
Ma difficulté à établir le contact avec les marins s'explique en partie par leur rythme de travail et les plages de repos qui en découlent. Il n'y a pas de temps collectif, après le travail chacun retourne dans sa cabine pour se reposer ou pour prendre un moment de détente privatif.

Voilà ! Trente-et-un jours de vie maritime au rythme du commerce, c'est déjà, en soi, une expérience extraordinaire. J’ai fait près de 1 600 photos dont une partie doit être exploitable, une trentaine de croquis et des encres préparatoires pour des toiles. J'ai écrit des textes, pris des notes, rédigé des documents... Bref, je dispose de suffisamment de matière pour accoucher, j’espère, d'autre chose qu'une souris !

Je serai bientôt de retour dans le froid breton puis je retournerai à Marseille, début mars, pour y retrouver le "Marajo".
Je voudrais d’ores et déjà remercier la compagnie Marfret pour toute la logistique de projet, pour l’accueil et le voyage, remercier le commandant et tout l’équipage du Marfret Marajo pour leur accueil à bord.

Merci aussi à tous ceux qui ont permis la réalisation de ce projet et à ceux qui ont contribué, un mois durant, à faire vivre ce blog. Merci à ma sœur qui a assuré le "secrétariat d’édition".

J’espère vous retrouver très bientôt pour vous présenter le fruit de cette expérience, à Marseille ou ailleurs..

A bientôt.

jeudi 18 février 2010

13h TU. Mer des caraïbes



Nous entamons le deuxième jour de la traversée qui, de la Colombie, nous mènera aux Antilles françaises. Notre second passage à Fort de France coïncidera avec la visite de notre Président. Il doit, je crois, après un tour en Haïti, se rendre en Martinique et en Guyane.

Nous filons bon train, sans toutefois forcer la machine, économie de carburant oblige ! Pour vous donner une petite idée, le Marfret Marajo consomme en moyenne 54 tonnes de carburant par jour de navigation. Soit un peu moins de 50 000 litres. Pendant la durée d’une rotation, le bateau avale près de 1 500 tonnes de pétrole. A Fort de France, nous devrions charger un monocoque de 60 pieds - appelé à concourir dans le Vendée Globe - qui sera débarqué en Espagne. L'objet est bien sûr transporté hors conteneur, il dépasse un peu le gabarit classique de 40 pieds.

Après Fort de France, ce sera, pour le Marajo, le retour vers l’Europe et la fin de la rotation, avec encore deux ou trois escales européennes puis le port de Marseille. Hier a eu lieu le Safety committee meeting, réunion au cours de laquelle tout l’équipage se rassemble à la passerelle pour faire le point sur tous les aspects "sécurité" du navire. Et remédier à d'éventuels manquements. Ensuite, dans le "carré équipage", j’ai présenté mes travaux - photos dessins et photomontages - réalisés à bord, sous forme de diaporama. Je souhaitais offrir une approche un peu concrète de mon travail qui semble, aux yeux de certains, assez mystérieux.

Demain après-midi, deux bateaux de la compagnie Marfret vont se succéder sur le quai de Fort de France : le Marajo et le Durande qui, lui, arrive d’Europe.
Retrouver un département d’Outre-Mer va me permettre de lire la presse, de découvrir ce qui se passe dans ce bon vieux monde. A bord, nous pouvons juste consulter France actualités, un condensé (en quatre pages) des événements qui se déroulent dans et hors l’Hexagone.
J'ai appris ce matin que nos amis Ukrainiens sont dans l'attente d'un président, pourtant élu, mais dont la victoire est contestée par le premier ministre Ioulia Timochenko, perdante du scrutin. Visiblement le CAC 40 se porte mieux, la bourse est en hausse et, malgré la crise, BNP Paribas a fait de remarquables bénéfices et va récompenser ses traders. Les travailleurs des raffineries sont en grève et la France a obtenu cinq médailles aux jeux Olympiques d’hiver...

A demain.

mercredi 17 février 2010

Nuit colombienne




Courte escale à Carthagène où j’ai profité d’une belle fin d’après-midi et dîné en ville pour rompre avec les menus ukrainiens du bord. Carthagène est une vaste ville dotée d'un grand port. La différence entre ses équipements et ceux de ses voisines vénézueliennes est saisissante. En témoigne la durée de l’escale. Ici, je pense forcément à une amie Colombienne installée depuis longtemps en France... Je lui dédis ce petit texte.

A Carthagène, côté conteneurs, j’ai fait pas mal de photos de nuit, perspectives et profondeur des cales, et j’ai essayé de rendre compte du chargement. Nous avons deux jours et demi de traversée avant l'ultime escale, à Fort de France. Ensuite le Marfret Marajo fera route vers l’Europe. Aujourd’hui, juste face à nous, un alizé souffle assez fort et ralentit notre progression le long des côtes colombiennes.

A demain.


Le port a des airs de sortie d’usine
Couleurs, conteneurs, extérieurs nuit
Calor, les dockers, sur leurs mines
Perles de sueur, traces de suie.

Contrôle, portique, fouille et laisser-passer
Embarqué par le flot, presque englouti
Par ce serpent humain, seul dans la nuée
D’hommes, de femmes, aux yeux écarquillés.

Fin d’une journée de travail, début pour certains
La ville pour moi scintille comme un paquebot
Une foule métisse s’agite un peu plus loin
Taxi jaune estampillé, fenêtre baissée, amigo ! Amigo !

Sur le trottoir belle mulâtre aux cheveux jais
Jambes de déesse, corps de princesse, chute de reins
Et tout en haut d’un dos nu, fines épaules d’un trait
Tendu et vif, finit de vous troubler, tout à dessein.

Cireurs de chaussures, marchands du temple
Sur la place de l’église Santo Domingo
Chaux vives des façades, épaisses et amples
Tradition colorée d’ocre, architecture hispano.

Carthagène, nom mythique, cité d’histoire
Aux avant-postes militaires d’îlots fortifiés
Ces fortins au large nous ravivent la mémoire
D’un pas si lointain passé, trop vite oublié.

Où conquérants aux ordres et à la grâce de Dieu
Ont brisé des âmes comme de simples roseaux
Au nom des reines et rois, mais non des gueux,
Pour, sans vergogne, leur voler quelques joyaux.

Des émeraudes et puis leurs terres et y défaire
À ces sales et incultes sauvages Amérindiens
Leurs rites et leur culture, au nom du Père
Et les laisser à leur misère, cynique destin.

Carte à jouer, à jouer et à perdre son âme
Attrape-touriste à chaque lieu saint
Palabre à l’ombre des feuilles de palmes
Et fausse douceur du rythme colombien.

Ici, tout semble glisser sans bruit
Flic, franchement armé au coin de la rue
Au point que pour quelques instants, on oublie
Qu’à quelques pas d’ici, les armes tuent.

Carthagène, réveille-toi de ta nuit colombienne !

mardi 16 février 2010

Cartagena, Nueva Granada






Faisons route au Nord-Est depuis le départ de Panama où l’escale fut particulièrement courte : à peine huit heures. L’efficacité des gantries aidant, le déchargement et le chargement ont pris moins de cinq heures. En faisant route au Nord-Est, en gros en longeant la côte, nous faisons face à l’alizé qui, ce matin, souffle assez fort. Premiers dauphins le long de la coque après les pélicans de la la baie de Manzanillo... C’est «La vie des Animaux».

Nous sommes encore à quelques heures de Carthagène que nous devrions atteindre en fin de matinée. La Colombie s'appelait autrefois La Nouvelle-Grenade et la "colombienne", célèbre pour sa qualité, la... "nouvelle grenadine" !
Pas grand-chose à voir entre la blanche colombe, signe de paix, et la Colombie. Grâce aux accords passés avec les Etats-Unis, ces derniers occupent une position stratégique sur le continent sud et sont ainsi aptes à réactiver la doctrine Monroe. Les nord-Américains disposent de sept bases effectives et opérationnelles, plus deux bases où sont déjà présents des officiers et des instructeurs américains. Soit neuf des vingt-et-une bases militaires implantées dans la zone Caraïbe.

La Colombie est aussi synonyme de FARC, Forces armées révolutionnaires. C’est précisément et officiellement pour venir à bout de la guérilla que les Américains renforcent leur position militaire. Pourtant, le plan Colombie date de plus de dix ans et les Etats-Unis ont déjà versé plus de cinq milliards de dollars au pot de la lutte contre le narcotrafic et la guérilla. En 2002, le président colombien Alvaro Uribe avait promis une victoire rapide sur les rebelles de L’ENL et des FARC...

D’après les bilans de l’armée colombienne, environ 6 000 guérilleros ont été capturés et près de 3 000, tués. D’année en année, les chiffres se ressemblent. Parallèlement, le programme de démobilisation aurait touché 15 000 personnes au cours des six dernières années ! En toute logique, les Forces armées révolutionnaires, qui ont toujours été estimées à 15 000 combattants, devraient avoir totalement disparu ! L’armée Colombienne doit sérieusement gonflé ses statistiques, car les FARC sont toujours actives. Quant au plan Colombie à l'oeuvre pour lutter contre la guérilla, il serait en réalité une réactivation de la doctrine Monroe. Laquelle permet la surveillance de tous les pays d’Amérique du Sud où le risque de déstabilisation politique reste une menace pour les entreprises notamment militaro-industrielles.

D’où les inquiétudes peut-être justifiées de certains dirigeants sud-américains que j'évoquais il y a quelques jours. Et pour clore à la manière d’une ancienne émission de France Inter (Radioscopie)... Et Obama dans tout ça ?

La machine vient de stopper. Nous sommes à la dérive devant une très belle et ancienne ville dont le simple nom fait rêver. J’espère que, malgré les fêtes, nous serons autorisés à quitter la zone portuaire pour faire un tour dans le cœur de la ciudad. Dans son livre "Un Tour du Monde en Porte-conteneurs" (Gallimard, 2002), Emeline Landon raconte qu'à l'escale de Carthagène, l’équipage lui avait déconseillé de "mettre pied à terre au risque de se faire couper une main pour une montre". J’ose espérer qu’il en sera autrement. De toute façon, je n’ai pas de montre. Et si je me fais capturer par les FARC, pour quelques vacances en compagnie des rebelles, (comme dit un ami rennais à propos d’Ingrid Betancourt), vous irez voir Nicolas. Qu’il m’envoie un avion pour le retour….

A demain.










lundi 15 février 2010

Manzanillo, porte de Panama


Il fait encore nuit et pourtant je distingue des lumières à terre. Ce matin, nous approchons du but : l’entrée du mythique canal de Panama... que nous ne franchirons pas. Pour la prochaine escale, nous aborderons en effet la Colombie - et sa très belle ville de Carthagène - par la façade caraïbe.

J'ai l'impression de déjà connaître le canal de Panama et c'est un peu le cas... par procuration. J'ai peint les locomotives qui tractent les bateaux dans les écluses à l'époque où, avec Philippe Lucas, nous avions eu l’idée d’un carnet de voyage sur le thème des ports de commerce. Nous avions échangé textes et dessins sous la forme d’un "cadavre exquis", un dessin illustrant un texte et vice versa. Le cadavre est finalement resté au placard. Les éditeurs contactés nous ayant fait languir avant de nous donner la même réponse : le projet, trop ciblé, ne pouvait être qu'un produit de niche commerciale.

Les Etatsuniens ont dû penser la même chose du canal de Panama, qu'ils ont inauguré en 1914, exploité pendant près de 85 ans avant d'en céder l'exploitation aux Panaméens en 1999. Avant cette date, le canal était, paraît-il, connu comme le canal "Malboro". Tout au long du franchissement des écluses, les bateaux devaient copieusement arroser, à coup de cartouches de cigarettes et de bouteilles d’alcool, les militaires qui géraient le canal.
Visiblement, ces pratiques ont disparu depuis la rétrocession de l'ouvrage à la République de Panama. Le canal est évidemment une ressource majeure pour l'économie de ce petit pays, coincé entre les trois Amériques. Le Nord et le Sud sont reliés par le célèbre pont des Américains. Contrairement à la logique, le canal n’a pas d'axe Est-Ouest pour relier l’Atlantique au Pacifique mais un axe Ouest-Est ou plus précisément NO-SE. Donc pour rejoindre le Pacifique, on part à l’Ouest et on arrive plus à l’Est ! Un coup d’œil sur une carte vous éclairera sur l'étrangeté de la chose.

Le canal est en ce moment en travaux, chantier dont le but est d’absorber un trafic grandissant. Il consiste en un deuxième percement susceptible d’accueillir des bateaux de plus grande capacité. Aujourd’hui, les gros porte-conteneurs ne traversent pas Panama et rejoignent l’Asie via Suez, autre canal mythique.

Dans la baie de Manzanillo, des dizaines de cargos sont au mouillage et attendent leur tour pour traverser le canal. La priorité va à la compagnie qui a beaucoup de navires, les autres attendent et négocient parfois leur passage aux enchères. Les terminaux conteneurs sont grands et certaines compagnies, comme EVERGREEN, disposent de leur propre infrastructure.

Panama située à la charnière de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud, entre deux océans, est une zone éminemment stratégique en terme de géoplitique. Les troupes des nord-Américains ne sont plus sur le canal mais il leur reste deux bases militaires importantes, l'une à Punto Coca et l'autre à Bahia Pina. Toutes deux sont situées sur la façade Pacifique et s'ajoutent aux deux bases implantées en Colombie, à Carthagène et Malabo. Les Américains encadrent donc parfaitement le secteur avec l'intention - au moins déclarée - de contrôler une partie du narcotrafic.

À l’heure où je tape ces lignes, nous sommes à quai. Les grues du bord sont débordées et le sourd ballet des conteneurs a déjà repris... Selon le commandant, Manzanillo, située à quelques kilomètres, de l’autre côté du bassin, n’est pas vraiment une ville. C’est une petite cité de services qui marque l’entrée du canal. Panama City est côté Pacifique... à l’Est donc !

A demain

PS : Savez-vous qu’il existe une différence de niveau de quelques mètres entre les deux océans ? Et savez-vous pourquoi ?





dimanche 14 février 2010

A vos plumes !

Je me suis réveillé particulièrement tôt ce matin. Coup d’œil par le hublot, c’est la nuit noire. Il n’est que 5h... De plus au cours de la nuit, nous avons (à nouveau) avancé les pendules d’une demi-heure puisque nous avons quitté le Vénézuela.
La mer semble calme, la température est la même, toujours très chargée d’humidité. C’est déjà mon quatrième week-end à bord du MARFRET MARAJO et nous avons encore une journée de route avant la République de Panama. Nous toucherons Manzanillo demain après-midi.

Au fil du temps, je cerne mieux le sens de mon travail et j'entrevois certaines formes de restitution. Grâce à un bricolage-maison, j’ai pu sauver mes séances quotidiennes de vidéo. Mais malheureusement ce sera tout, car je ne peux plus utiliser ma caméra. Quant à celle de "remplacement" achetée à la va-vite à Fort de France, elle s’est révélée être une catastrophe. La mémoire du portable - pourtant augmentée au maximum avant le départ - commence aussi à montrer des signes de fatigue !

Aujourd’hui pour fêter ce quatrième week-end à bord, j’avais décidé de ne pas écrire et de vous laisser la parole. Sous chaque message, vous avez un petit onglet "commentaire". Alors ne vous privez pas ! D’autant que ce «projet vu de la terre» pourrait être une composante de l’expo à venir. Alors... TOUS à vos plumes pour me dire comment vous voyez l'objet "conteneur", ce qu’il vous inspire. Quels liens, selon vous, le navire, les marins tissent-ils avec la terre; quel lien représentent les conteneurs...

Si vous souhaitez écrire mais que vous n’osez pas mettre vos réflexions en ligne, vous pouvez me les adresser au 29, boulevard Marbeuf à Rennes (35000).


A demain.




samedi 13 février 2010

12h TU. Adieu Vénézuela !

Aucun son de maracas, à l'heure de quitter Caracas. Nous sommes pourtant en pleine période de festivités ! Le mois de février est la période des carnavals dans toute la Caraïbe. L'un des plus connus, et le plus grand après celui de Rio, est le carnaval de Trinidad, située pas très loin d’ici... Trinidad et Tobago ferment, au sud, la chaîne des petites Antilles.

J’ai eu la chance d’assister aux fêtes de Trinidad en 1998. J’encadrais un voyage de jeunes délinquants en périple initiatique dans le cadre d’une mesure éducative renforcée, alternative à la prison. L'expérience souvent difficile fut néanmoins intéressante. Nous étions donc arrivés en plein carnaval. La manifestation ayant la réputation de grimper en température et en dangerosité au fur et à mesure de la nuit, nous souhaitions garder nos troupes à portée d'oeil. Et nous avions, à cet effet, réservé des places dans les tribunes officielles pour le début du défilé des «steel bands», à ne manquer sous aucun prétexte.

Les ados ont d’ailleurs été totalement conquis, aussi surpris que nous, tant nous avions tous l’impression d’être projetés dans une BD de Tintin aux Colonies. Dans la loge située sous de la nôtre, un maharaja s’agitait, turban sur le chef, accompagné de plusieurs charmantes compagnes qui n’étaient autres que ses femmes. Quant à la musique des steel bands, elle a cela d’extraordinaire qu’elle est uniquement produite par des drums découpés, travaillés, poinçonnés ici ou là par des mains de maîtres... des bidons de ferraille qui donnent l’impression d’assister à la prestation d’un orchestre symphonique. L’agitation dansée et colorée qui accompagne le défilé est à la hauteur de la musique et mondialement reconnue.

A Puerto Cabello et à La Guara, les fêtes commençaient ce week-end. Le départ du "Marajo" vers Manzanillo a été avancé, pour éviter d'arriver pendant la période de trois jours au cours de laquelle tout est fermé. Avec un peu de chance, je verrais le carnaval en Martinique...
C’est reparti pour deux jours de mer avant Panama et ensuite, la Colombie. Deux jours pendant lesquels je vais pouvoir mettre un peu d’ordre dans les 1 500 photos déjà prises. Seul un cinquième présentera sans doute un intérêt, le sujet est plus aride qu’il n'y paraît.

Toute la nuit, j’ai pensé aux conteneurs. J'étais un peu souffrant, frissons (genre grippe), petite toux courte et sèche, douleurs musculaires... J'ai même ressorti la couverture ! Air conditionné ou autre cause, bref, ce n'est pas la grosse forme.
J’ai pensé aux conteneurs. J’ai reçu des articles, envoyés par plusieurs amis, traitant d'un projet de logements étudiants, sur le modèle de celui Amsterdam, qui devrait voir le jour au Havre. Très bien et très français de reproduire ce que font les autres Européens ou les Américains, généralement avec les mêmes erreurs !
Personnellement, je trouve dommage de réserver ces constructions-conteneurs aux logements étudiants. Pourquoi ne pas étendre leur usage à n’importe quel autre programme d'habitat, dans le cadre de la mixité sociale. Pour respecter le droit au logement, répondre aux nombreuses demandes insatisfaites, le conteneur-logement, adapté et modulable (il ne s’agit pas de faire des favelas européennes), semble une vraie solution. Je ne comprends même pas pourquoi nous n’en voyons pas encore.

L’objet peut aussi devenir maison pour les Nouveaux Nomades Urbains (NNU). La yourte du «bobo flexible» ! les NNU pourraient choisir leur maison-conteneur comme on choisit une Swatch ou une voiture - formats, formules, coloris - d'un simple clic sur Internet. La toile permettrait de visualiser la maison rêvée, de la régler par carte bancaire et de se la
faire livrer. L'urbanisme devrait alors s’adapter à la nouvelle donne... création d'espaces arborés, viabilisés, destinés à recevoir l'habitat NNU (aussi proposé en location pour facilité la mobilité).

Dès mon retour, je m’attaque à cette idée, je suis certain qu'elle peut trouver un écho plus large qu’on ne l’imagine. Le concept sera peut-être difficile à propager dans un pays traditionaliste comme la France, mais le besoin de mobilité, l'argument écologique et le faible coût de réalisation semblent autant d’éléments favorables au développement cette nouvelle forme d’habitat.

A demain

Vendredi 12, 11h TU. Caracas









Départ de nuit, appel à l’attention dans les haut-parleurs «All crew in station". La carcasse d’acier s’ébroue, vibration des moteurs, calme puis agitation de l’équipage... Le quai s’éloigne dans les remous, deuxième manœuvre, premier virage.
Départ de nuit, bruissement d’eau sous le livet, pour glisser sous la céleste voûte, cotonneuse comme du duvet, dernière marque du chenal avant la route. Au loin, les fanaux des pêcheurs, inlassables laboureurs de la mer, que l’on nomme aussi les seigneurs, à la côte, se confondent avec les feux et les amers.
Dans quelques heures, Caracas... Je me laisse bercer et m’endors. 2h du matin, le téléphone sonne dans ma cabine. C’est le commandant qui me conseille d’assister à l'étrange arrivée de nuit à Caracas. Je rejoins la passerelle. Le port et l’aéroport de la Guara forment une bande le long de la côte où prennent naissance des faubourgs particulièrement illuminés... vus de la mer.
Au-dessus de ces guirlandes à ras de l’eau, une grande masse noire bouche l’horizon. Plus haut, un falot d’une puissance
supérieure arrose la couche nuageuse accrochée à la montagne… Saisissant !

Au delà de cette bande, c’est Caracas et "derrière" Caracas, le Vénézuela et un président que tout le monde s’accorde à dire fantasque, voire fou... Hugo Chavez est-il un nouveau despote ou un véritable homme du peuple acculé par ses détracteurs, et la situation économique de son pays, à lâcher les commandes d’un appareil qu’il ne contrôle plus.

Le nouveau régime vénézuélien va fêter ses 12 années d'existence, pourtant fragilisé en 2003 par une grève de la compagnie nationale de pétrole et du patronat. Le président a failli être renversé par un coup d’Etat. Chavez avait illustré sa volonté radicale de changement en légiférant sur les hydrocarbures - le pétrole est une ressource importante du pays - afin de mettre la rente pétrolière au service des dépenses sociales. Il avait également lancé une réforme agraire. Bouveleversements qui n’étaient pas pour plaire aux tenants traditionnels de l’économie.

Grâce au soutien des masses, rameutées par les radios communautaires qui ont exigé le retour du président, les putschistes ont reculé. Je me souviens des images de ces événements, de la foule aux portes du palais présidentiel.

De cette période, est sorti un nouveau pacte social. Chavez a créé des "missions" au plus près de la population avec, entre autres, un programme d’assistance sanitaire qui fera d’ailleurs appel à plusieurs milliers de médecins venus de Cuba. Mission médicale donc; assistance aux mères de famille en détresse; distribution alimentaire à des prix bas pour les plus démunis; réponses spécifiques aux populations indigènes, etc. La liste n'est pas exhaustive.
Résultat : de 44% en 1998, soit presque la moitié de la population, le taux de pauvreté chute à 28% en 2008, selon les chiffres du Centre pour la paix de L’Instituto de Estudios Hispanoamericanos (UCV). Le taux de scolarisation dans les collèges passe 21,2% en 1998 à 33,3% en 2006.
A l’image des comités de défense de la révolution cubaine, l’organisation des masses va prendre une tournure plus radicale avec la création des conseils communaux. Le principe repose sur la conviction que, pour chaque région, ces regroupements de familles connaissent, mieux qu’un lointain bureaucrate, leurs besoins spécifiques.
Plébiscités par 63% de la population, ces conseils communaux interrogent néanmoins par leur fonctionnement. Il semble que le montant des fonds versés par l’Etat dépende, pour chaque communauté, de son seuil de connivence avec le président Chavez. Cela entraîne une personnalisation du pouvoir et l'apparition d’une nouvelle caste : les «Boli-bourgeois». Ces derniers s’affichent comme des fidèles, sans jeu de mots, et consacrent leur énergie à faire fortune en profitant de l’instabilité économique.

Paradoxalement, le secteur nationalisé par Chavez se révèle incapable de se substituer au secteur privé face à une demande de consommation croissante, stimulée par l’injection de liquidités importantes dans le revenu des classes populaires. Le président va s’attirer les foudres de cette frange de la population qui constituait pourtant la base de son électorat mais qui ne peut pas faire face à une inflation de plus de 40%.

Ainsi, malgré son adhésion majoritaire aux conseils communaux, la classe populaire déçue par l’inflation, les pénuries et la délinquance n’hésite plus à montrer son mécontentement. Et cela même si Chavez reste une star. Economie déstabilisée, opposition silencieuse mais présente, alliés corrompus, pression internationale... La marge de manœuvre de plus en plus réduite du leader de la révolution bolivarienne ne va t-elle pas l'entraîner vers un durcissement du régime à la Cubaine ? Que va devenir le Vénézuela ?

Demain, les boîtes prennent la route de Panama.

jeudi 11 février 2010

10h40 TU. Puerto Cabello, deuxième !











Il est 6h10 heure locale, deuxième jour à Puerto Cabello que nous devrions quitter ce soir vers 17h, si tout va bien ! Car ici les manutentions peuvent prendre du retard. Dès que le soleil émerge de la montagne, le thermomètre s’emballe. On passe d’une chaleur nocturne, douce, avoisinant les 23°C à plus de 30°C au beau milieu de la journée.
Puerto Cabello est une petite ville agréable, dotée d’un front de mer sur lequel trônent la capitainerie du port et une grande statue de Simon Bolivar. La vieille ville conserve quelques maisons de l’époque espagnole ainsi qu'une petite église classée et restaurée. Un grand panneau l’affirme : Puerto Cabello protège son patrimoine culturel... somme toute modeste.
Ce n’est pas, en tout cas, une ville touristique et y dénicher des cartes postales relève de la mission impossible. J’ai donc abandonné ma quête pour rejoindre le cyberespace où il m’a fallu une heure pour vous envoyer une dizaine d’images destinées au blog.
Ambiance cyberespace, les ordinateurs ne sont pas de la dernière génération et le réseau sature régulièrement. C’est bondé, la climatisation est inexistante et, pour couronner le tout, de charmantes petites bêtes noires vous accompagnent sur le clavier…. Mais on finit par y arriver et c’est le principal.

Tentative de retrait de monnaie locale... Le distributeur me demande un deuxième digital code ! Je n’ai jamais vu ça, j’ai donc payé ma "caña" (demi) en dollars, le comble dans un pays franchement anti US. En détournant les yeux des gouttelettes qui perlent sur le verre glacé de ma cerveza, j’aperçois une Dodge rutilante digne de celles que l’on croise quotidiennement dans les «calles» du «crocodile». Ici, l’atmosphère est un doux métissage entre Caraïbes, Amérique du sud, Afrique, communautés chinoise et italienne.

Parmi les conteneurs que le "Marajo" décharge ici, beaucoup viennent de Gène ou de Livourne. La ville de Puerto Cabello paraît plus petite que l’espace portuaire qui est à lui seul un quartier de conteneurs. Les boîtes rouges de "Hamburg Süd" dominent largement, signe d’un trafic important avec l’Allemagne et l’Europe du nord en général. Essentiellement remplies de «dry», marchandises non périssables.

Si l’escale est plus longue, c’est dû en partie au fait que les manutentions sont moins automatisées. Les grues du bord, pour décharger, sont même utilisées, ce qui est de plus en plus rare. Les incidents ou accidents sont aussi plus fréquents et hier un conteneur frigo (riffer) en a fait les frais !
Il y a dans une partie du port, une sorte de «Père Lachaise» des conteneurs. Les Locaux utilisent des tronçons de ces conteneurs pour les constructions légères qui peuplent la colline avoisinante et composent l’une des favelas locales. Les habitants n'ont sans doute pas les moyens techniques adaptés pour transporter des conteneurs entiers à flanc de colline. Ou alors, le coût d’un conteneur entier, même d’occasion, reste trop élevé.
En ville, d’autres constructions datant des années «béton», sont restées à l’état brut du matériau. D’autres, plus achevées, comme le siège d’une banque, sont totalement désertées sans pour autant que des squatters s’y installent. La police locale est équipée de 4X4 flambant neufs qui contrastent fortement avec le reste du parc automobile ou des bus qui sont davantage à l’image des conteneurs endommagés.
Les murs de la ville portuaire affichent des slogans et des fresques colorées à la gloire de Chavez et de son parti. Des odeurs de fruits et de légumes annoncent un marché, petit, tout proche de la plage et de la marina. L'emblème de la marina est une sculpture kitsch, enrubannée de guirlandes électriques. C’est en fait un bateau de plaisance de 9 mètres de long et de fabrication française, posé là comme il le serait, chez nous, sur un rond-point. Peut-être une prise de mer...

A demain.

mercredi 10 février 2010

20h30 TU. Puerto Cabello

Rougeurs des coques à quai
Dans la moite chaleur de midi
Confinées au fond de cette baie
Oiseaux de métal dans leur nid

Sur les docks agitation frénétique
Perpétuel balai des trucks clinquants
Poussière et rugissements mécaniques
Déhanchements des dockers nonchalants

Noirceur des carènes entachées de pétrole
Double reflet troublant la plus belle eau
Senteurs putrides, relents d’éthanol
Odeurs pétrochimiques, venant du brûlot

Moiteur des tropiques, chaleur en bouffées
Cargaison et bidons, maisons et bidonvilles
Pentes de verdure, crasse et conteneurs entassés
Anarchie et vaine tentative d’ordre inutile

À la nuit, lumière blafarde des projecteurs
Les grues picorent toujours les cales
Jamais ne cessent les bruits des moteurs
Essayer d’oublier le vacarme de l’escale

Les marins quittent le bord
La ville lumière pointe au loin
Dans ce bar, qui fait face au vieux fort
Les yeux brillent, et s’agitent les mains

Les cargos de nuit sont comme
Des cathédrales de tôle, endormies
Repos, petit somme en somme,
Largage prochain d’amarres, retour a la vie…


Erick, alias Bénabar